C'est officiel : Ernst & Young saute le pas et scinde ses activités de conseil et d'audit en deux branches
"Les dirigeants d'EY ont pris la décision d'aller de l'avant avec les votes des partenaires pour se séparer en deux organisations distinctes. Nous prenons cette mesure audacieuse parce que nous croyons que c'est ainsi que nous pourrons mieux servir le personnel, les clients et les parties prenantes au sens large d'EY dans le cadre d'une opportunité unique en son genre de redéfinir l'avenir des services professionnels.", a annoncé Carmine Di Sibio, directeur général mondial d’EY il y a maintenant un mois au sein d’un long communiqué partagé sur LinkedIn.
Si cette décision progresse sous la table depuis plusieurs mois, elle n’en reste pas moins ébranlante pour l’ensemble du secteur, et n’a pas tardé à être considérée comme l’une des querelles les plus controversées de l'ère moderne dans le domaine des services professionnels.
Essentiellement positionné en tant que cabinet comptable en 1989, Ernst & Young a investi massivement dans ses activités de conseil tout au long des années 1990. Cette expansion a d'abord fait grincer des dents, les régulateurs s'inquiétant des conflits d'intérêts qui pourraient survenir. C'est en partie à cause de cette pression qu'Ernst & Young a vendu ses activités de conseil à Capgemini en 2000, pour un montant de 11 milliards de dollars. Un an après s'être établie avec son nouveau slogan novateur “Construire un meilleur monde du travail”, Ernst & Young a assuré un retour en force de son activité de consulting en rachetant le cabinet de conseil en stratégie The Parthenon Group, ayant donné naissance à EY-Parthénon, la branche conseil en stratégie d'EY.
Quelles ambitions se cachent derrière une telle décision ?
La principale raison de cette évolution est la multiplication des conflits d'intérêts entre les secteurs de l'audit et celui du conseil. En outre, de nombreuses entreprises qu'EY audite leur fournissent également des conseils lucratifs. Le travail de conseil, plus rentable que celui de l'audit, représente une part relativement faible des revenus du cabinet, et conduit généralement l'auditeur à éviter d'exprimer ses préoccupations lorsque le même client représente une part importante des revenus du consulting. Les grands cabinets reconnaissent également qu'ils gèrent parfois leurs services d'audit à perte afin d'obtenir davantage de travail du même client.
Selon Ernst & Young, la scission rendra leurs opérations plus rentables car le cabinet sera moins contraint par les réglementations qui limitent les services qu'il peut fournir aux clients. L'objectif sur les trois prochaines années serait de profiter d'une augmentation des marges sur l'activité de conseil de 15 à 20% par an basée sur le succès de la nouvelle entité de consulting. La valeur de cette dernière devrait augmenter rapidement, et EY a déjà pour ambition d'ouvrir le marché du conseil aux géants de la tech sans craindre les foudres des régulateurs.
Une nouvelle identité lui permettrait par ailleurs de tourner la page sur une multitude de scandales dans lesquels ceux-ci étaient auditeurs, tels que les effondrements du groupe médical NMC Health, ou encore de Wirecard. Le cabinet mise ainsi sur le regain de confiance de l’opinion publique.
Quelles conséquences pour les parties prenantes ?
La scission d’EY pose tout d’abord des questions d’organisation interne. Pour commencer, isoler le secteur comptable pourrait avoir des conséquences négatives sur la qualité de l’audit, car le conseil était une activité rentable qui contribuait à subventionner les salaires, des cadres supérieurs en particulier, dans le secteur de l'audit. Cette externalité négative pourrait avoir un impact néfaste dans un environnement où les compétiteurs d’EY continuent à fonctionner dans un modèle ou conseil et audit fonctionnent encore main dans la main.
Par ailleurs, certains services initiaux de l’activité de conseil d’EY, exercés par des spécialistes en fiscalité par exemple, bénéficiaient à la fois au secteur du conseil et à celui de l’audit. Cette scission rendra ce modèle croisé impossible.
Les grands gagnants de l'opération sont les partenaires d’EY dans ses activités de conseil et d'audit. Les associés côté audit aux États-Unis et au Royaume-Uni pourraient recevoir des paiements de plusieurs millions de dollars chacun suite à la scission. Au sein de la nouvelle société de conseil, les associés recevront des actions de la société distincte d'une valeur d'environ sept à neuf fois leur rémunération annuelle.
Enfin, certains talents considèrent l'audit comme un tremplin vers une carrière dans le conseil. Si EY divise ses activités, cette voie de carrière ne sera plus disponible. EY pourrait perdre sa compétitivité pour les talents, surtout si ce parcours professionnel reste une possibilité dans les autres cabinets Big Four.
Coté en bourse, un autre défi crucial auquel EY risque de faire face est la reconstruction de son nom de marque. L’entreprise risque de subir une pression intense concernant ses indicateurs clés de performance afin de satisfaire les attentes de ses actionnaires. Cette problématique adresse un questionnement crucial concernant l’avenir de la valeur de la nouvelle entité EY Consulting dans un environnement hyper compétitif saturé de grands géants tels que BCG, Accenture ou McKinsey.
La division d’EY et la pression croissante des régulateurs réaménagent et bousculent l’industrie toute entière. Si KPMG et PwC se positionnent clairement comme défavorables à une scission de leurs activités de conseil et d’audit, Deloitte songeait, selon le Wall Street Journal, a prendre une décision allant dans le même sens qu’Ernst & Young. L’entreprise ne s’est cependant pas ré-exprimée quant à ce parti-pris ce mois-ci. La controverse autour de scission est omniprésente pour les Big Four depuis plusieurs années, reste à voir si l’un d’entre eux sautera le pas et suivra le même chemin qu’EY dans les prochains mois.
Sources :
● Carmine Di Sibio, LinkedIn: “Why I believe a new path forward is the right thing for EY”, publié le 08/09/2022
https://www.linkedin.com/pulse/why-i-believe-new-path-forward-right-thing-ey-carmin e-di-sibio?trk=public_profile_article_view
● Le Figaro : « Le cabinet d'audit et conseil EY envisage de se scinder, selon le Financial Times », publié le 06/09/2022
https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-cabinet-d-audit-et-conseil-ey-envisage-de-se-scind er-selon-le-financial-times-20220906
● Le Monde : « « Le conseil est un Far West quand l’audit est un jardin français », publié le 09/09/2022
https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/09/09/le-conseil-est-un-far-west-quand -l-audit-est-un-jardin-francais_6140911_3234.html
● Consultor : "EY : la scission du conseil et de l’audit entre dans le vif du sujet”, publié le 15/09/2022
● https://www.consultor.fr/recherche-generale?cck_2%5B%5D=article%2Cassocie%2C cabinet%2Cetude_de_cas%2Cevenement%2Coffre_demploi&do_generic_search=e uy&do_historique_text=&search=recherche_generale&task=search
● The Economist : “In EY’s split, fortune may favour the dul”, publié le 23/06/2022 https://www.economist.com/business/2022/06/23/in-eys-split-fortune-may-favour-the dull
● The New York Times : “EY, the accounting and consulting firm, will split into two businesses.”, publié le 08/09/2022 , “https://www.nytimes.com/2022/09/08/business/ey-ernst-young-split.html
● INSIDER : “After meeting on Labor Day, Ernst & Young executives are closing in on a plan to split the massive company”, publié le 06/09/2022 , https://www.businessinsider.com/ernst-young-executives-finalizing-plan-split-auditing consulting-businesses-2022-9?r=US&IR=T
● Harriet Sinclair, LinkedIn News: “Huge paydays could follow EY split”, publié le 06/06/2022, https://www.linkedin.com/news/story/huge-paydays-could-follow-ey-split-5908202/